Le jeune Maul, en quête d’un abri, fuyait en zigzaguant sur le sol gelé de la Vallée des Larmes Claires. Les bouts éraflés de ses bottes de combat raclaient le sol friable, ses mains gantées de noir cherchaient des prises là où le versant se faisait plus abrupt. Une fois encore le sol graveleux se déroba sous ses pieds et il tomba rudement sur son genou droit. Les décharges à basse énergie de blaster tirées de quelque part en contrebas percutèrent la pente tout autour de lui, projetant des éclats brûlants sur son visage non protégé. Une décharge l’atteignit sur le mollet alors qu’il se hissait vers le sommet, et il pesta contre son inattention. Sa combinaison était déjà trouée par les autres impacts, sa peau irritée et rougie par les zébrures et les marques grosses comme des jetons de sabacc. Si le but de la poursuite avait été son élimination plutôt que sa capture, il serait déjà mort sur la rive glacée de la rivière qui sinuait dans la vallée.

Un gros bloc de pierre érodée lui procura un abri provisoire ; il se recroquevilla derrière alors que les impacts des blasters ajoutaient aux mauvais traitements que la nature s’était déjà chargée de lui infliger. Hors d’haleine dans l’air raréfié, ménageant son genou droit, il se baissa pour jeter un coup d’œil derrière le pied du rocher. Des yeux ordinaires auraient été incapables de repérer les mouvements de ses kidnappeurs potentiels, mais la Force, qui décuplait l’acuité de sa vue, lui permettait de voir au-delà de leurs tenues de camouflage. En tête, il vit courir l’humain, Meltch Krakko, qui, sans l’intervention de Trezza, l’aurait abattu il y avait déjà plusieurs années. À ses côtés, se déplaçant par petits bonds, il reconnut deux Rodiens aux museaux courts que Meltch avait entraînés, Hubnutz et Fretch, experts de la traque et tireurs d’élite.

Même sans avoir recours à ses véritables pouvoirs, Maul avait profité d’une bonne avance jusqu’à ce qu’une manœuvre surprise de Meltch le force à dévier de son plan de départ. Il avait dû patauger dans la rivière glacée, crapahuter sur le terrain accidenté du flanc nord de la vallée… Des êtres des mondes chauds et humides n’auraient pas dû pouvoir suivre son rythme. Mais en plus de leurs costumes mimétiques, les Rodiens étaient équipés de masques respiratoires. Quant à Meltch, il était bâti pour tous les climats, tous les terrains, et des décennies de combats sur des mondes divers avaient fait de lui une sorte de super soldat. Pas exceptionnel à la manière de Maul, mais puissant d’une manière bien à lui.

D’une manière profane, ainsi qu’il avait appris à le penser.

S’adossant au rocher grêlé de trous, il étudia ce qui l’entourait, puis leva les yeux vers le sommet du versant qui se découpait sur un ciel bleu-vert sans nuage. Cette partie d’Orsis n’était pas sans rappeler les paysages de la plus éloignée des lunes de la planète, ce qui avait valu à la vallée avec sa rivière sinueuse d’être baptisée les Larmes Claires. Une rivière qui dévalait, tumultueuse, du flanc d’un volcan de dix mille mètres d’altitude pour se déverser sur un haut plateau creusé de profondes fissures, et qui avait au fil des éternités sculpté sur le mur de la vallée une véritable forêt de mesas et de pics vertigineux sillonnés de crevasses et hérissés de cactées dont le jus translucide était censé donner des hallucinations à certaines espèces.

Une décharge de blaster siffla tout près et rasa, les cornes hérissant le crâne chauve rouge et noir de Maul qui bondit sur ses pieds. D’un rapide coup d’œil, il découvrit que ses poursuivants cherchaient à l’encercler et se couvraient mutuellement tandis qu’ils couraient entre les rochers où ils se mettaient à couvert, sûrs du camouflage que leur assuraient leurs tenues high-tech. Maul leva son blaster et visa le Rodien le plus proche ; son doigt tremblait sur la détente, comme s’il lui démangeait de tirer. Ce qu’il aurait fait s’il n’avait pas eu conscience des inévitables répercussions si sa capacité à voir ce qu’il ne devrait pas être capable de voir devait être découverte. Frustré, il leva la tête dans le vent sec et froid qui déboulait du glacier et jura de nouveau entre ses dents. C’était uniquement lorsqu’il était contraint de rester dans le monde profane que ses pieds dérapaient et que ses poumons peinaient à insuffler assez d’oxygène à ses muscles. Là seulement, il était obligé de jouer le rôle humiliant de la proie afin de sauvegarder sa vigueur dans la Force.

Mieux vaut attendre, se dit-il. Oui, mieux valait les mener tous les trois plus haut, là où l’air se raréfiait toujours plus et où les costumes mimétiques auraient du mal à assurer leur fonction de camouflage. Et où il pourrait retourner la situation d’une façon qui aurait au moins l’avantage de paraître ordinaire.

Son Maître lui parla dans sa tête : Imagine ton chemin, et la Force l’ouvrira.

S’écartant de l’ombre faiblarde du rocher, il se montra volontairement un bref instant avant d’entamer un nouveau slalom vers le sommet. Les décharges de blaster harcelèrent sa progression erratique, puis une l’atteignit dans le même mollet, et une autre dans l’épaule droite. Cette fois-ci, il accepta la douleur et l’utilisa pour alimenter sa colère. Cependant Meltch commençait sans doute à se demander pourquoi sa cible ne ralentissait pas, pourquoi elle refusait de s’avouer vaincue. Aussi Maul trébucha-t-il avant de ralentir le pas. Une ascension de quelque quatre cents mètres l’amena presque au bord de la vallée, là où l’eau et le vent avaient créé un labyrinthe de cimes et de pitons.

Il serait si simple de m’élever parmi eux, ne laissant derrière moi rien d’autre que les empreintes de mes bottes. Mais pas ici, pas maintenant. Pas dans le monde profane.

Des décharges ricochaient sur les pitons, chargeant l’air d’éclats de roche pulvérisée. Maul se retourna pour tirer, manquant sa cible en beauté, ainsi qu’il était attendu de lui.

Les tirs cessèrent alors qu’il grimpait toujours plus haut dans le dédale de pierre, se glissant dans de minces passages, rampant pour en franchir d’autres, enjambant d’étroits abîmes. Sans perdre le bord de vue, il commença de concocter un plan pour prendre ses poursuivants par surprise. Meltch serait plus difficile à berner que les Rodiens. Le Mandalorien connaissait désormais toutes ses ruses, qu’il lui avait pour certaines lui-même enseignées. Mais Maul avait aussi appris quelques feintes auxquelles l’humain n’avait pas eu l’intention de l’initier, et il comptait sur le fait que le Mando enverrait les Rodiens le déborder pendant que lui-même continuerait à le pourchasser par-derrière.

Émergeant des cimes, il s’accroupit un instant dans le silence sifflant. À l’entrée de la vallée se dressait une montagne conique coiffée de neige, régnant avec morgue sur tout ce qu’elle dominait, et dont le sommet était chapeauté d’un unique nuage flottant telle une bannière lavande. Prudemment, Maul continua d’escalader la pente jusqu’à son sommet, et ce faisant repéra Meltch qui, à moins de cinquante mètres de lui, tournait le dos à une crevasse déchiquetée dans le terrain inégal. Maul n’arrivait pas à comprendre comment il était parvenu à le dépasser à son insu. Une technique des Death Watch, probablement. Mais Maul n’était pas censé être capable de le voir. Aussi, se raidissant, avança-t-il stoïquement vers la douleur.

Le premier coup de Meltch l’atteignit dans l’épaule droite et le fit vaciller, mais il acheva de lui-même le tour sur lui-même et entama un sprint désespéré vers le bord de la sinueuse crevasse. Harcelé par les décharges du Mando qui lui passaient au ras des oreilles et ne lui donnaient d’autre choix que de courir, il se rendit compte soudain que ses yeux l’avaient trahi. Bien plus large qu’elle lui était apparue de plus loin, l’anfractuosité se révélait totalement impossible à franchir pour un Zabrak d’une quinzaine d’années – eût-il passé plus de dix ans de sa vie dans un camp d’entraînement au combat. Meltch s’attendrait donc à ce qu’il s’arrête net au bord et se rende. Pourtant, accélérant le pas, il bondit, s’aidant de ses bras et de ses jambes pour gagner de la vitesse. Il percuta volontairement la paroi opposée, utilisant toutefois la Force pour amortir l’impact, et se rattrapa à un affleurement rocheux à quelques mètres du bord.

Après avoir enjambé une brèche plus étroite, Meltch et les Rodiens ne furent pas longs à le rejoindre et, confiants dans leur invisibilité supposée, se penchèrent sur le bord pour l’observer. Maul était convaincu que sa réaction téméraire – son acte de foi – lui valait le respect de ses ennemis. Jusqu’à ce qu’ils commencent à se moquer de lui en shootant dans les pierres et la poussière du bord dans l’intention évidente de lui faire lâcher prise et plonger vers une mort accidentelle.

Qui serait loin d’être la première sous la surveillance du Mando.

Maul sentit la colère monter en lui. Combien de temps encore devrait-il dissimuler ses vraies capacités et passer pour un minable – comme un novice obligé de se bagarrer pour survivre – alors qu’il était tellement plus que cela ?

En appelant de nouveau la Force, il se hissa hors de la crevasse, bondit et effectua un saut périlleux en se retournant en l’air de sorte que, quand ses bottes retombèrent sur le sol solide, il faisait face, blaster à la main, au dos de ses poursuivants. Quand tous trois se retournèrent – un ahurissement total figeait le visage buriné de Meltch –, Maul déchargeait déjà son blaster comme s’il tirait sur des êtres qu’il savait être là devant lui-même s’il ne pouvait les voir.

Toujours confiants dans leur invisibilité, ils s’égaillèrent en tirant aveuglément dans leur fuite. Mais si aucune décharge ne l’atteignait, la Force en revanche guidait les siennes jusqu’à ses cibles dont chaque cri de douleur le mettait en joie. Son blaster était presque vide quand Meltch désactiva sa tenue et cria à Maul de poser son arme. Mais celui-ci l’ignora. Tout à son excitation sadique, il continua à tirer, stimulé par le Côté Obscur qui se tortillait en lui comme un reptile enragé.

Et un jour il serait capable de projeter des décharges électriques de ses doigts !

Au-dessus de lui, couvrant les déflagrations du blaster surchauffé et les appels du Mando à la capitulation, une voix amplifiée que Maul connaissait depuis son enfance lui ordonna de cesser le feu.

De derrière le sommet d’une basse colline sèche, un airspeeder apparut soudain et passa en mode lévitation pour se poser au bord du gouffre. Un Falleen était aux commandes, petit mais puissamment bâti. Après avoir jeté un coup d’œil à Meltch et aux Rodiens désormais visibles, le bipède reptilien sauta du speeder et s’approcha de Maul pour lui arracher le blaster des mains et le jeter à terre.

 À quoi est-ce que tu joues ? demanda-t-il à voix basse.

Meltch avait rentré son arme dans son holster et, penché au-dessus du gouffre, étudiait l’endroit où Maul avait fait mine de se cramponner désespérément. Quand il se retourna, la suspicion lui plissait les yeux.

 Comment as-tu pu…

 Je me suis servi du bord comme d’un tremplin, dit Maul.

Meltch étudia de nouveau la crevasse et fronça les sourcils.

 Et comment est-ce que tu as pu nous viser ? lui demanda-t-il encore.

 Les costumes étaient détraqués. Ils n’arrivaient pas à décider comment vous faire disparaître dans le décor.

Meltch échangea un regard avec les Rodiens, qui secouèrent la tête. Furibond, il s’avança alors en bousculant Trezza. Maul sentit le coup venir bien avant que le Mando ait bandé ses muscles. Immobile, il tourna la tête dans la direction du poing ganté et parvint à rester sur ses pieds. Crachant le sang, il foudroya le Mando du regard.

Meltch eut un ricanement moqueur et leva sa mâchoire carrée vers lui.

 Allez vas-y, Maul, puisque tu as l’air d’en faire une affaire personnelle.

 C’est toi qui l’as rendue personnelle depuis deux ans.

 Pour que tu te dépasses, dit Meltch. Pour faire de toi un guerrier.

Il soutint le regard jaune de Maul.

 Personnel ou professionnel. Tu peux avoir les deux.

Trezza vint se placer entre eux qui le dépassaient l’un et l’autre d’une bonne tête. Ce n’était jamais bon signe quand un Falleen se colorait, or le visage de Trezza passait par toutes les couleurs du spectre.

 Ça suffit, dit-il. Personne ne marque de points.

Meltch eut un ricanement moqueur.

 Il n’y arrivera jamais, Trezza. Pas tant qu’il ne sera pas honnête avec nous. En attendant, on perd notre temps.

 

Au Q.G. du camp d’entraînement qui enjambait la mer agitée, Trezza examina les brûlures sur le torse de Maul où, de même que sur sa tête et son visage, étaient imprimées d’ésotériques zébrures rouge et noir.

 Il va falloir les soigner.

Trezza fit signe à un droïde médical d’approcher, mais Maul le repoussa de son pied.

 Pas avec du bacta, gronda-t-il. Je me guérirai moi-même.

 En prenant plaisir à la douleur.

 Il n’y a pas de douleur.

 Si tu le dis.

Maul rencontra son regard.

 Vous ne pouvez pas comprendre.

 Probablement, admit Trezza. Mais cela ne change rien au fait que tu sembles avoir oublié plus que tu n’as appris.

Maul remonta le haut de sa combinaison.

 Peut-être que j’en saurai un peu plus quand j’aurai vécu aussi longtemps que vous.

Trezza haussa les épaules.

 Continue à trahir ton serment et tu auras de la chance si tu atteins tes seize ans.

 C’est mon problème.

 Au bout du compte, oui, c’est sûr.

Le Falleen était resté silencieux durant le trajet de retour de la vallée haute, en sécrétant des phéromones censées pacifier Maul, même si celui-ci était totalement immunisé contre leurs effets. Approchant des deux cents années standard, Trezza avait passé la moitié de sa vie à entraîner des mercenaires et des paramilitaires pour le compte de gouvernements planétaires de la République, sans parler des combattants professionnels qu’il fournissait pour l’Arène Petranaki sur Geonosis et le Chaudron sur Rattatak, tout en formant des assassins et des espions aussi bien pour les maisons royales que pour les cartels du crime. Guerrier encore plus chevronné que Meltch, il était également ce qui, pour Maul, ressemblait le plus à un protecteur – dans le monde ordinaire.

 Meltch cherche à te forcer à révéler ta vraie nature. Les membres des Death Watch étaient d’une honnêteté farouche entre eux et d’une loyauté à toute épreuve.

 Alors pourquoi est-ce que le groupe s’est disloqué ?

 Ils ont sous-estimé un rival qu’ils croyaient avoir éliminé. Quand leur chef a été tué, les autres se sont séparés et Meltch a atterri ici parce que, chez nous aussi, la loyauté et la tradition sont des qualités essentielles. Et s’il n’a pas l’étoffe d’un entraîneur hors pair, c’est un excellent stratège. Et il avait raison en te reprochant d’en faire une affaire personnelle, surtout maintenant que tes pouvoirs se développent.

Trezza répondit au silence de Maul par un mince sourire.

 Ton bond pour franchir la crevasse était superbe. Mais tu l’as gâché en te laissant dominer par tes émotions.

 J’aurais pu faire bien pire qu’égratigner Meltch et les Rodiens avec les décharges, dit Maul.

Le sourire de Trezza disparut.

 Nous le savons tous les deux, mais c’est ainsi que ce doit être.

Il marqua une légère pause.

 Ce n’est pas mon rôle de remettre en question tes raisons de garder secrète toute l’étendue de tes pouvoirs.

Maul lui lança un coup d’œil noir.

 Faut que je fasse semblant.

 Tu m’as laissé entendre que tu étais prêt à accepter cela comme faisant partie de ton entraînement.

 Avant, oui, dit Maul.

Trezza posa les mains sur les épaules de Maul.

 Je regrette que tu ne sois pas venu à moi dans d’autres circonstances, Maul, mais nous devons tous les deux honorer les dispositions que nous avons prises. Meltch te soupçonne depuis longtemps d’avoir la Force, et à présent tu lui as fourni une nouvelle raison de se méfier de toi. Peut-être est-il envieux, ou peut-être fait-il partie de ceux qui considèrent la Force d’un mauvais œil. Quant à moi, je préférerais de beaucoup te voir réussir parmi nous sans y avoir recours. De même que ton bienfaiteur.

Il se tut, puis ajouta, comme après coup :

 Il est ici, tu sais.

Maul eut l’air choqué.

Trezza hocha la tête.

 Il est venu assister à l’exercice. Il t’attend.

 

Dans la grande salle de l’ancien presbytère que son Maître conservait dans la Gorge de Blackguard sur Orsis, Maul, agenouillé, attendait que Sidious prenne la parole. Durant son long voyage en motospeeder, il s’était efforcé de dissiper sa colère et ses doutes. En fait, il aurait aimé voir un être ou une créature surgir devant son engin lancé à toute allure dans les vastes plaines qui s’étiraient entre les contreforts arides. Mais il n’y avait eu personne, aussi était-il arrivé avec ses émotions intactes au château de pierre bâti par les Muuns. Ses absences à répétition au cours de combat de Trezza duraient depuis le début de sa formation, mais comme il n’était pas la seule jeune recrue à aller et venir, elles avaient cessé de faire l’objet de spéculations.

 Tu n’es pas totalement responsable de ce qui s’est passé, dit enfin Sidious en s’arrêtant devant lui. Le Côté Obscur s’intéresse très sérieusement à toi, et te jauge afin de savoir si tu peux être un réceptacle digne de son pouvoir. Comme il cherche à s’exprimer et déteste être entravé, il nous met constamment à l’épreuve et est toujours en butte à notre volonté et à l’importance que nous accordons au mystère.

Humain d’âge et de taille moyens, Sidious portait un long capuchon bleu sombre qui, le plus souvent, plongeait son visage dans une ombre profonde.

 Oui, Maître, dit Maul. J’ai succombé.

Les yeux de Sidious flamboyèrent du fond de l’ombre de la capuche.

 Tu as succombé ? Tu oses aggraver ta faute par un mensonge ?

Maul baissa les yeux sur la pierre froide du sol.

 J’ai dit que tu n’étais pas totalement responsable. La bonne volonté du Côté Obscur à coopérer pour ta pitoyable et vaniteuse démonstration ne te disculpe pas d’avoir déshonoré le serment que tu m’as fait et d’avoir ainsi compromis les projets que j’ai pour toi.

Sidious semblait immense, au-dessus de lui.

 Croyais-tu vraiment pouvoir venir ici et nier ta responsabilité pour cette erreur ? Imaginais-tu pouvoir te faire passer pour la victime candide de cette histoire ?

Maul avait envie d’implorer son pardon mais son implacable colère ne le lui permettait pas. Et puis à quoi bon ? Après tout, il avait eu droit à de sérieuses semonces aussi bien pour avoir eu raison que tort. Jaillissant de quelque source inaccessible, la rage releva la tête et darda sa langue venimeuse. Mais aucun mot ne put franchir ses lèvres ; sa gorge fut soudain étranglée par un geste désinvolte de la main droite de Sidious.

 Ne m’interromps pas, l’avertit celui-ci.

Il s’écarta de quelques pas, l’autorisant enfin à respirer, puis lui fit de nouveau face.

 En utilisant la Force pour te sortir du piège que t’avaient tendu tes adversaires, tu as attiré une attention indésirable sur toi. Je sais que les Jedi ne cessent de harceler Trezza pour qu’il produise des tueurs et des armées qui se battront en leur nom. Alors imagine ce qui aurait pu arriver si un Jedi avait été témoin de l’exercice. Un Jedi aurait non seulement décelé ta forte présence dans la Force, mais il aurait compris que tu as été formé aux techniques du Côté Obscur, ce qui aurait mis en péril ma situation. À ce propos, ton petit stratagème pour franchir la crevasse aurait fait sourire un Maître Jedi, un peu comme un clown provoque le rire du public.

Une fois de plus, il revint se planter devant Maul.

 Bon… Que voulais-tu me demander, tout à l’heure ?

Maul se lança en hésitant, comme s’il testait sa capacité à s’exprimer,

 Combien de temps encore devrai-je être une chose ici et une autre là ? Formé par la Force ici, et formé pour ne pas l’utiliser là ? Quels projets avez-vous pour moi, Maître ? Que suis-je pour vous ?

Sidious renifla.

 Tu es mon élève, Maul, et un jour tu deviendras peut-être mon Apprenti.

 Votre Apprenti, répéta Maul, s’interrogeant sur le sens à donner à ce terme.

 Peut-être. Mais si cela doit être, ce sera au terme de nombreuses épreuves qui rendront celles d’aujourd’hui dérisoires. Une fois loin du refuge d’Orsis, tu ne seras pas long à prendre conscience que la République est basée sur la fausseté, et qu’elle ne survit que par la volonté de l’Ordre Jedi. Des êtres de toute sorte s’efforceront de te remplir la tête de mensonges afin de t’entraîner dans cette fausseté, et tu devras être déterminé dans ton allégeance au Côté Obscur de la Force.

 Je comprends, Maître.

 Non, dit Sidious. Tu crois comprendre, rien de plus.

Des plis de sa tunique, il sortit deux sabres laser et en lança un à Maul avant d’allumer le sien. Maul songea que, comparées aux brûlures qu’il était sur le point d’essuyer, celles que lui avaient infligées Meltch avec son blaster ne seraient rien de plus que d’affectueuses petites tapes.

 

Les entrailles serpentines à l’air, la vibrolame de combat était posée sur une table basse à côté d’une petite boîte à outils. L’électrocommande à la main, Maul était fiévreusement penché sur le générateur de vibrations ultrasoniques de la lame, impatient de pouvoir annuler l’effet de la butée intégrée afin de donner à la lame une plus forte capacité à fouetter et taillader. Puisqu’il n’avait pas le droit d’utiliser la Force, alors il utiliserait tout le reste afin de satisfaire la fureur qui brûlait en lui. Pour éventrer toute chose vivante qu’il rencontrerait durant son solo dans la Gora. Pour baigner dans le sang qu’il verserait, pour se gaver de chair chaude… Rien qu’à l’imaginer, ses doigts en tremblaient, et brusquement l’outil glissa de sa position branlante dans la douille pour entailler profondément la paume de son autre main, ouvrant une petite plaie et pulvérisant le barrage de ses émotions refoulées. Maul abattit son poing droit sur la table dont il étoila le plateau, et la vibrolame s’envola, manquant de peu de lui embrocher la tête. Se redressant, il montra les dents, ses dents limées, et se raidit, à deux doigts de lâcher un hurlement qui aurait fait s’écrouler les murs autour de lui.

Il se contenta de respirer profondément et de s’asseoir sur une chaise en s’efforçant de regagner le contrôle de lui-même.

Depuis un an, chaque fois qu’il revenait d’une séance d’entraînement avec Sidious, sa colère ne connaissait pas de limites, même à ces rares occasions où son corps n’avait pas porté de brûlures infligées par le sabre laser de son Maître. Sidious l’avait averti qu’il en serait ainsi, et prévenu que, à mesure que son corps atteindrait la maturité, le Côté Obscur commencerait à le reconnaître comme un allié potentiel et donc à revendiquer ses pensées et ses émotions. Ce serait pour lui une période difficile, avait précisé son Maître, un rite de passage, encore que bien en deçà des épreuves qui, selon lui, au bout du compte soit le briseraient, soit lui permettraient d’accéder à un apprentissage – où il deviendrait l’associé de Sidious dans ce qu’il faisait, quoi que ce fût.

Il avait beau avoir connu Sidious toute sa vie, il en savait très peu sur lui. Et même si Maul n’était pas un esclave, il était incontestable que, d’une certaine manière, il lui appartenait. C’était Sidious qui l’avait confié à Trezza huit ans plus tôt. Avant cela, Maul se souvenait d’avoir été élevé et éduqué par Sidious et ses droïdes sur Mustafar, et se rappelait aussi les voyages en vaisseau stellaire vers un monde nommé Tosste, où il avait été formé aux techniques du Côté Obscur. Mais il n’avait pas la moindre idée de la place que Sidious tenait dans la galaxie, ni de la planète sur laquelle il résidait. Pour autant qu’il sache, il pouvait être un seigneur de guerre, un sorcier, un monarque, ou même un Maître Jedi banni. Quoi qu’il en soit, pour un être pratiquement sans passé et sans identité, Maul trouvait la perspective de devenir éventuellement l’Apprenti de Sidious très excitante, et bien qu’ébranlé, blessé et perturbé par ce qui s’était récemment passé, il demeurait déterminé à prouver sa valeur à son Maître.

Il lui vint soudain à l’esprit que Sidious et Trezza avaient peut-être bien comploté pour que le rite de passage de sa formation à la Force coïncide avec le rite équivalent de l’école militaire au cours duquel il serait abandonné, seul, dans la Gora où il devrait survivre l’équivalent d’une semaine d’Orsis sans nourriture ni matériel à l’exception de sa vibrolame, dans un domaine de bêtes sauvages et féroces.

Il rassemblait les dégâts de son bref emportement – lame et outils éparpillés – quand deux des autres recrues entrèrent dans la salle.

L’aînée des deux, la plus grande aussi, Kilindi Matako, une Nautolane, promena son regard sur la vibrolame démantibulée, sur le plateau étoilé de la table, et sur le sang coulant de la main gauche entaillée de Maul.

 Tout va bien ? demanda-t-elle, sa coiffe de tentacules rayés toute frissonnante.

 Un accident.

Il eut droit à un coup d’œil sceptique.

 Ah oui ?…

Kilindi était une ancienne esclave, et depuis son arrivée à l’école, elle était devenue la pupille de Trezza et une excellente guerrière. Dès le premier jour, Maul avait éprouvé pour elle une attirance secrète. Une attirance qu’il lui arrivait de croire réciproque, mais les sentiments, sur Orsis, étaient le terrain le plus périlleux de tous.

Sa compagne, Daleen, était une humaine aux cheveux bruns. Censée être princesse d’une maison royale, elle s’absentait de l’école encore plus souvent que Maul. Ses talents de guerrière étaient limités, mais Trezza était convaincu que Daleen pouvait devenir une excellente espionne. Toutes les deux aidèrent Maul à ramasser les outils, puis s’approchèrent de lui, assez près pour qu’il respire leurs délicates et enivrantes odeurs. L’espace d’un instant, sa rage se dissipa sous l’effet d’une ivresse troublante.

 Meltch te cherchait, dit Kilindi.

Maul lança un coup d’œil inquiet vers la porte.

 Et où il est, maintenant ?

 Là-haut, je suppose, répondit Daleen.

« Là-haut » désignait la SOO – la station orbitale d’Orsis. Il n’était pas rare que Meltch fasse des virées hors-monde pour dénicher de jeunes prodiges, conseiller quelque groupe paramilitaire, ou encore exécuter un contrat. Maul se demandait si le Mandalorien et Sidious s’étaient jamais croisés sur la SOO durant leurs fréquentes allées et venues.

 Tu veux des tuyaux pour savoir de quoi tu devras te méfier, sur Gora ? demanda Kilindi alors que Maul commençait à remonter la vibrolame.

Il secoua la tête.

 Je me débrouillerai.

J’ai tué des dinkos à mains nues, se retint-il d’ajouter.

Elle eut un rire entendu.

 C’est ce que j’ai dit, moi aussi, et regarde ce que ça m’a rapporté…

Elle n’eut pas besoin d’exposer les cicatrices qui zébraient ses bras et ses épaules musclés pour qu’il comprenne ce qu’elle voulait dire.

 Fais surtout attention de ne pas t’y perdre, dit Daleen de sa voix sexy.

Elle lui caressa la nuque, prenant soin de ne pas toucher ses petites cornes.

 On a prévu de te cuisiner une surprise pour ton retour.

 

Par-delà un océan d’étoiles, la grande et pâle sorcière, après avoir attentivement écouté l’histoire de l’étranger et avoir regardé les images produites par la technologie qu’il avait apportée, ordonna à deux membres de l’assemblée de lui amener la Sœur de la Nuit nommée Kycina.

La planète avait pour nom Dathomir, et le clan de Mère Talzin régnait dans sa partie la plus isolée où il se livrait à des rituels pour honorer la Déesse Ailée et le Dieu aux Dents de Tigre, apprenait le langage des gros animaux comme le rancor, et faisait apparaître la sanie des esprits afin de maintenir un équilibre des forces naturelles. Peu d’étrangers avaient pu assister aux séances de magie de la sorcière, et la plupart de ceux qui l’avaient fait n’étaient plus de ce monde pour le raconter.

Descendantes douteuses d’une Jedi bannie, les Sœurs de la Nuit étaient des humaines agiles, encore que le recours aux pouvoirs du Côté Obscur les ait tant physiquement qu’émotionnellement dégradées. Les yeux argent de Talzin étaient lourdement soulignés d’un maquillage noir qui remontait jusqu’à son front large et encadrait un médaillon en forme de bouclier suspendu à une capuche rouge pointue. Deux profondes crevasses, telles des parenthèses, couraient de son nez à son menton carré et encadraient sa bouche, noire elle aussi. Les ornements raides et pointus qui saillaient de son fourreau écarlate lui donnaient l’apparence d’un insecte ailé, d’une étoile rouge ou d’une fleur vénéneuse.

Couronnant une plate-forme que soutenaient des cariatides stylisées, la façade de son repaire de pierre figurait un visage allongé dont la bouche hurlante constituait l’entrée principale de l’édifice.

Ce fut de ce trou béant que Talzin émergea avec l’étranger et deux Sœurs de la Nuit toutes de rouge vêtues et armées d’épées courtes, après qu’on les eut avertis que Kycina avait été trouvée et conduite aux Fonts Baptismaux – un bassin rectangulaire peu profond qui servait à la fois d’autel et de dépôt pour les sanies qui s’étaient matérialisées au cours de cérémonies, et autour duquel les membres de l’assemblée se réunissaient pour se livrer à leurs rituels. L’air humide était imprégné de l’odeur des fruits mûrs qui se balançaient, suspendus à la voûte, et des ramilles nues des plantes toutes proches.

Placée entre deux Sœurs de la Nuit, de l’autre côté du bassin, Kycina regardait Talzin et les autres approcher. Petite et l’air très jeune en dépit de son âge, elle était désarmée, et la capuche baissée de son vêtement laissait voir ses cheveux clairs coupés très court.

 On vient de découvrir un Zabrak dathomirien sur un monde lointain connu sous le nom de Orsis, annonça Talzin sans préambule.

Eu égard à l’étranger, elle s’exprimait en basic, mais son accent à couper au couteau sabota sa prévenance. Elle lui demanda, avec une aversion manifeste pour son appareil, de montrer à Kycina les images holographiques qu’il lui avait fait découvrir plus tôt.

 C’est lui, dit Talzin, le doigt pointé vers l’écran de l’appareil. Ses tatouages indiquent qu’il a été sacré Frère de la Nuit avant de quitter notre monde.

Asservis par les Sœurs de la Nuit et gardés pour la reproduction et la guerre, les Zabrak dathomiriens Frères de la Nuit étaient confinés dans les villages les plus éloignés du domaine de Talzin.

 En effet, Mère, dit Kycina en tournant son regard vers elle. Mais pourquoi attirer mon attention là-dessus ?

 Ses tatouages suggèrent qu’il appartient au même clan que Savage, Opress et Feral.

Les yeux de Talzin s’étrécirent sensiblement.

 Tu lui as donné le jour, ma Sœur, et je ne sais comment tu as permis qu’on nous le prenne.

Kycina redressa ses épaules étroites, mais son visage avait perdu le peu de couleur qu’il avait d’ordinaire.

 Pourquoi aurais-je fait une chose pareille ?

Ces mots avaient à peine franchi ses lèvres qu’un geste de Talzin la souleva à un mètre du sol et la repoussa en arrière, cambrée comme les tiges des plantes autour d’elles, de sorte que son visage livide était tourné vers le ciel rouge.

 C’est vrai, pourquoi aurais-tu fait une chose pareille ? demanda Talzin, tournant autour d’elle.

Kycina se débattait contre le sort que Talzin lui avait jeté, et parler exigeait d’elle un effort épuisant.

 N’avez-vous pas permis, Mère, qu’Asajj Ventress nous soit enlevée ?

Les sentinelles de Talzin brandirent leurs armes.

 Blasphème ! dit l’une d’elles.

Mais Talzin leur ordonna de reculer, et continua de tourner autour de la Sœur en lévitation.

 Quand j’ai écarté la petite Ventress, je l’ai fait pour protéger le caractère sacré de notre assemblée. Si je ne l’avais pas fait, les esclaves de Hal’Sted Siniteen nous auraient fait la guerre, et Dathomir aurait souffert.

 Vous avez accepté d’être payée, répondit Kycina avec difficulté. Moi, au moins, je n’ai rien pris en échange.

 Donc tu l’admets, dit Talzin en s’immobilisant.

Les yeux de Kycina trouvèrent ceux de Talzin.

 Je voulais le protéger contre vous. Le sauver d’une vie d’esclave et de guerrier. Lui épargner de devenir de la chair à canon dans vos obscures campagnes. Vous m’avez déjà pris Savage et Feral. Je voulais une vie différente pour Maul.

 Dans ce cas tu as échoué, ma sœur, car c’est précisément la vie à laquelle Maul a été condamné. À qui l’as-tu donné ?

Kycina ferma les yeux en les serrant fort.

 Je n’ai pas su son nom. C’était un humain élégant que j’avais rencontré à Blue Desert City. Un homme haut placé et puissant.

Talzin se fit pensive.

 De toute évidence, il n’a pas apprécié ton cadeau. Ton rejeton a été confié à un Falleen qui forme des espions, des mercenaires et des gladiateurs.

Kycina soupira.

 Aucune importance. Du moment que vous ne pouvez pas l’atteindre.

 N’en sois pas si sûre, dit Talzin qui tourna les yeux vers les Sœurs qui avaient trouvé Kycina. Enfermez-la jusqu’à ce que je décide d’un châtiment approprié.

Un simple geste de Talzin et Kycina retomba comme une pierre par terre. Lorsque les Sœurs de la Nuit l’eurent emmenée, Talzin se tourna vers l’étranger.

 Normalement je pourrais être convaincue d’excuser une telle transgression, mais pas avec un Frère de la Nuit capable de telles prouesses martiales.

 C’est tout à fait compréhensible, approuva l’étranger.

Talzin le jaugea.

 J’apprécie le fait que vous nous ayez apporté cette information, mais vos raisons pour le faire demeurent assez obscures…

 Maul n’est pas une jeune recrue comme une autre, dit l’homme. Je pense qu’il pourrait être un agent infiltré dans l’école de Trezza par une de ces factions de la République, ou par l’Ordre Jedi. Il quitte périodiquement l’école, probablement pour rencontrer celui à qui il doit en référer.

Les yeux de Talzin s’arrêtèrent sur les tatouages qui ornaient les bras épais de l’homme.

 Vous arborez l’aigle-hurleur – l’emblème des guerriers mandaloriens.

Meltch confirma d’un simple hochement de tête.

 Pourquoi, dans ce cas, n’avez-vous pas vous-même éliminé Maul ?

 Maul est le favori de Trezza.

 Et vous ne souhaitez pas mettre en péril votre relation d’affaires avec le Falleen.

 Exact.

Talzin réfléchit un instant.

 Les bénéfices de nos décisions seront donc mutuels.

 Vous enverrez vos Sœurs le chercher à Orsis ?

 Pour ce genre de chose, je ne fais confiance qu’à moi-même.

Meltch, visiblement surpris, cligna des yeux.

 Dans ce cas, laissez-moi jouer un rôle. Vous devrez transiter par la station orbitale d’Orsis, et vous aurez besoin des codes d’accès pour descendre le puits jusqu’à l’école militaire. Je peux vous fournir tout ce dont vous aurez besoin, et je sais précisément où vous pourrez l’enlever, et sans que personne le regrette.

 

Maul, à son septième jour, venait d’abattre sa septième proie majeure quand la tempête s’était levée.

Se laissant tomber des branches d’un arbre multi-centenaire sur le dos bossu du bipède, il avait plongé à plusieurs reprises sa vibrolame améliorée entre les plaques de la cuirasse qui protégeaient son long cou, jusqu’à ce que la créature bascule sur le flanc. À ce moment-là, elle avait déjà perdu toute combativité, et pourtant elle avait encore essayé de refermer ses puissantes mâchoires sur lui alors qu’il s’en écartait en roulant sur lui-même. Se ruant sur elle, il lui avait asséné le coup final, et le puissant beuglement qui avait jailli de sa gueule avait rebondi sur les palissades et fait fuir tous les oiseaux perchés dans les arbres alentour.

Des plaintes, au loin, avaient fait écho à celle de la bête à l’agonie, et puis les éclairs avaient déchiré le ciel d’où s’étaient brusquement déversées des trombes de grêle. Et du fait que son séjour d’une semaine dans la Gora, où il n’avait pratiquement pas pu fermer l’œil, touchait à sa fin, cette tourmente prit pour lui un sens plus punitif encore.

Le cratère de Gora était né d’une explosion volcanique qui avait dévié Orsis de son axe d’origine et rendu l’hémisphère nord de la planète habitable. Immense bassin de forêts denses et de vastes marécages – et même avec une basse montagne centrale qui n’était autre que la réémergence du volcan lui-même –, la Gora abritait d’innombrables espèces d’animaux venues s’y installer quelques millénaires plus tôt. Les parois presque verticales de sa circonférence et de dangereux courants atmosphériques avaient empêché la faune, à l’exception des oiseaux les plus robustes, de s’en échapper. Et les créatures avaient été contraintes d’évoluer à leur façon dans un environnement qui était plus une arène qu’une vallée, un chaudron bouillonnant où survivre exigeait une lutte de chaque instant.

Il avait tué de nombreuses bêtes, ici, mais une seule pour se nourrir ; il avait abattu les autres ou pour la survie, ou pour le plaisir. Trezza et Sidious avaient beau exalter l’importance d’une victoire dans le monde profane, le Côté Obscur ne pouvait pas simplement s’éteindre comme un bâton électrique équipé d’un mouilleur. Aucune des créatures que Maul avait affrontées n’avait fait preuve de modération ; toutes avaient attaqué et s’étaient défendues bec et ongles. Elles incarnaient leur nature, tout simplement. Ce qui l’interpellait : attendait-on de lui qu’il s’élève au-dessus de sa propre nature ? Cet exercice de maîtrise de soi était-il un moyen de mieux comprendre ce qu’il était réellement ? Le Côté Obscur n’acceptait-il que les êtres capables de s’élever au-dessus d’eux-mêmes ?

Telle avait été sa tourmente intérieure. Et à présent il était pris dans une vraie tempête, et c’était comme si ces violentes tornades avaient été déclenchées pour lui jeter un ultime défi avant qu’il atteigne ce qui faisait office d’avant-poste d’où il pourrait appeler un airspeeder pour être évacué. Les orages n’étaient pas inhabituels, dans la Gora ; ils gonflaient les cascades, les rivières paresseuses et les marécages, mais celui-ci était particulièrement virulent. D’une seconde à l’autre, le ciel, à l’est, de limpide, s’était chargé d’un bouillonnement de nuages menaçants. Il avait pensé à se trouver un abri, mais le vent et la pluie battante l’avaient contraint à avancer tant bien que mal. Derrière lui, des arbres basculaient, et au-delà tourbillonnaient des nuées d’insectes délogés et malmenés par les bourrasques.

Le cyclone finit tout de même par se calmer jusqu’à n’être plus qu’une pluie de grosses gouttes alors qu’il émergeait, trempé jusqu’aux os, d’une forêt d’épineux dans une vaste savane. Le vent, aussi, s’apaisa, mais à ses hurlements succéda un piétinement lourd qui résonna dans l’air saturé d’ozone. Maul en identifia sans mal l’origine : des llans. Peut-être ceux-là mêmes qui avaient réagi au cri d’agonie de celui qu’il avait tout récemment abattu. Tirant sa vibrolame de la gaine fixée sur sa cuisse, il parcourut du regard les hautes herbes autour de lui en quête de bois dont il pourrait se tailler une lance. Ne trouvant rien d’adéquat, il courut jusqu’à la distante orée d’un bois. Peut-être avaient-elles flairé son odeur dans le vent faiblissant, toujours est-il que les bêtes invisibles changèrent de cap avec lui, et cette décision le surprit ; la plupart des créatures de grande taille de la Gora – même celles qui étaient à demi sensibles – avaient en effet tendance à vivre en solitaire plutôt qu’en troupeaux.

Il fut d’autant plus étonné de voir, à mi-chemin de la forêt, quatre llans bondir dans la clairière – deux devant lui et un de chaque côté. Et plus extraordinaire encore, c’est que chacun avait une cavalière ! De minces silhouettes portant chacune un vêtement rouge à capuche et armées d’arcs et de piques à énergie. Était-ce ce dont Kilindi avait souhaité l’avertir avant qu’il parte faire son solo ? Maul en doutait. Il sentait que ces cavalières étaient des êtres bien plus dangereux que de simples apprentis de l’école.

Le Côté Obscur commença d’enfler en lui, impatient de pouvoir s’exprimer. Malgré tout le sang qu’il avait versé, la soif de violence du Côté Obscur exigeait encore d’être étanchée. Mais sur le point de laisser libre cours à ses pouvoirs, il les retint. Les cavalières des llans ne faisaient peut-être pas partie de l’épreuve habituelle ; elles auraient aussi bien pu lui être envoyées par son Maître pour tester sa résolution.

Des flèches lumineuses volèrent vers lui, propulsées par des arcs à énergie, moins pour l’atteindre que pour le pousser vers un llan isolé des autres – un gros mâle tacheté qui manifestait son impatience en fouettant l’air de sa queue dressée. Si sa capture était une fois encore le but, alors Sidious était incontestablement aux commandes. Comme il changeait de direction en esquivant les flèches, Maul se sentit brusquement soulevé et renversé en arrière. Comme s’il avait de plein fouet percuté un mur. Toutefois au lieu d’être projeté à terre, il se retrouva suspendu et immobilisé à un mètre du sol. Et c’est à l’envers qu’il vit une haute silhouette descendre de son llan et s’approcher de lui. Une humaine au visage aussi bariolé que le sien était tatoué, et avec, autour du cou, tout un assortiment d’amulettes et de talismans.

 Ne résiste pas, Frère Maul, dit-elle en basic avec un accent à couper au couteau.

Ses mains esquissaient des gestes rituels.

Une agente de Sidious, songea-t-il, car il percevait la Force en elle. De mèche avec son Maître, à moins qu’elle ne soit une Apprentie.

Il s’apprêtait à le lui dire quand elle lui toucha le front. Il bascula dans l’inconscience.

 

La station orbitale d’Orsis consistait en deux nacelles oblongues reliées par plusieurs vastes passages cylindriques. Dans la tour de contrôle de la nacelle des arrivées et des départs, le responsable du trafic se tourna vers un groupe rassemblé devant la baie d’observation.

 La navette de débarquement revient. Le triple-empennage bleu arrive.

Meltch regarda le vaisseau.

 Dirigez-le vers le hangar cinq, et faites passer le message que tous les membres du personnel non indispensables devront quitter le secteur.

Il attendit que le contrôleur ait répercuté l’ordre puis se tourna vers le chef militaire.

 Vos troupes sont en place ?

Osika Kirske hocha son énorme tête. Vollick de la lointaine Rattatak – où le métier de la guerre était un art de vivre –, Kirske commandait une imposante armée, mais avait débarqué à Orsis avec guère plus qu’une soixantaine de mercenaires Weequays et Siniteens.

 Vous êtes sûr que cette unité sera suffisante ? demanda Meltch.

 Elle est composée de certains de mes meilleurs guerriers.

 Je l’espère.

Kirske haussa ses colossales épaules en ignorant sa remarque.

 Comment, Meltch, avez-vous pu attirer les Sœurs de la Nuit hors de Dathomir ? On m’a dit qu’il était extrêmement rare de les voir quitter ne serait-ce que leur région natale. Si Hal’Sted a pu s’emparer de la petite Ventress, c’est parce que Talzin redoutait de se montrer.

 Il paraît que Ventress est devenue une guerrière accomplie, dit Meltch, éludant la question.

Le visage taillé à coups de serpe de Kirske se crispa.

 Nous saurons bientôt comment la jeune Ventress s’en sort face à celles de son espèce.

Meltch y réfléchit un instant.

 Je vous souhaite bonne chance. Elles vont vous donner du fil à retordre… À présent que j’ai rencontré les Sœurs de la Nuit, j’ai l’intention de rester au large de Dathomir. Mais, bien sûr, vous ne me payez pas pour mes conseils.

Kirske grommela.

 Les conseils d’un Mandalorien sont toujours les bienvenus.

Meltch accepta le compliment sans sourciller.

 Quelques années de combat dans l’arène du Chaudron et les Sœurs de la Nuit me supplieront de servir dans mon armée, ajouta Kirske. Mais je n’ai toujours pas de réponse à ma question : comment avez-vous réussi à les attirer ici ?

 Elles sont venues chercher un des leurs, répondit enfin Meltch.

Les yeux obliques de Kirske s’écarquillèrent, du moins autant que ce fût possible avec son front osseux.

 Trezza a eu une Sœur de la Nuit dans son école ?

Meltch secoua la tête.

 Un Zabrak dathomirien du clan des Frères de la Nuit. Les femmes utilisent les mâles comme esclaves pour la reproduction et la guerre.

Le regard de Kirske se fixa sur le vaisseau qui arrivait.

 Que voulez-vous qu’on fasse du Zabrak ?

 Il est à vous. Je vous, l’offre pour rien.

Kirske eut l’air déconcerté.

 Nous pouvons au moins ajouter quelque chose à ce que nous vous avons déjà versé.

Meltch esquissa un sourire narquois.

 Inutile. Vous me rendrez service rien qu’en l’emmenant loin d’Orsis.

Avec le sentiment d’avoir été dépouillé de la Force – assez similaire à celui qu’il éprouvait de temps à autre durant ses séances d’entraînement avec Sidious –, Maul émergea, l’esprit vaseux, de la transe dans laquelle l’avait plongé la sorcière. Même avant d’ouvrir les yeux, ses sens lui apprirent qu’il était à bord d’un petit vaisseau et allongé dans un fauteuil accélérateur. La gaine de sa vibrolame était vide, mais la confiance de la sorcière en ses soldâtes et en ses propres pouvoirs était telle qu’il n’avait ni menottes, ni chaînes.

 Tu es très doué, Maul, dit-elle quand il fixa ses yeux jaunes sur elle, mais peut-être pas autant qu’on a voulu me le faire croire.

Maul eut un rictus sardonique.

 J’ai l’impression que tout le monde est d’accord là-dessus, dernièrement…

Elle l’étudia sans se cacher.

 Très révélateur. Il y a encore un instant, je pensais avoir commis une erreur en venant aussi loin et en risquant aussi gros pour te ramener au clan de tes frères, et pourtant je sens que tu es puissant dans la Force.

 Je n’ai pas de frères, dit Maul, comme s’il crachait le mot.

 Oh mais si. Et une fois que tu seras parmi eux, ta vie sera très différente. Sur Dathomir, tu seras formé comme la Déesse Ailée et le Dieu aux Dents de Tigre veulent que tu le sois. Et quand le moment sera venu, tu affronteras l’équivalent pour les Frères de la Nuit des Épreuves de la Fureur, de la Nuit et de l’Élévation. Et si tu en triomphes, tu auras peut-être la chance de devenir un guerrier exceptionnel. Ta force sera décuplée, et ces minuscules cornes qui hérissent ton crâne en ce moment deviendront longues et mortelles.

Maul avait presque immédiatement cessé de l’écouter. En fait, la sorcière jouait son rôle dans un plan que Sidious avait conçu. Il l’avait averti que des êtres tenteraient de l’utiliser et de le tromper, et c’était exactement ce qu’était en train de faire la sorcière.

 Je n’irai pas sur Dathomir.

Elle haussa un sourcil.

 Tu n’as pas envie de voir ton monde natal et de rencontrer les membres de ton clan, les Frères de la Nuit ?

 Non.

Elle parut déçue.

 Ton destin est de nous servir, Maul, d’une façon ou d’une autre. Il en a toujours été ainsi.

 Je ne sers qu’un seul maître, répondit-il.

Pas une trace d’humour n’apparaissait dans le sourire de la sorcière.

 Le Falleen qui t’a formé devra trouver quelqu’un d’autre.

Maul pensait avoir trouvé la bonne réponse, mais il était clair que non, ou alors Talzin n’avait pas compris à qui il faisait allusion. Il faillit mentionner directement Sidious, mais se ravisa.

Une des Sœurs se glissa dans la cabine.

 Nous approchons de la station, Mère Talzin.

Celle-ci acquiesça en fixant Maul.

 Puis-je être certaine que tu ne créeras pas de problème pendant que nous gagnons notre vaisseau, ou souhaites-tu simplement te réveiller à bord ?

Maul jeta un coup d’œil sur l’épée courte de la jeune Sœur et sur son arc à énergie.

 Pour le moment, vous avez le dessus. Je ne créerai pas de remous.

 Bien sûr que non.

Maul fut rassuré d’apprendre que la station n’était autre que celle d’Orsis. Alors qu’un rayon tracteur manœuvrait la navette de débarquement dans la baie du cargo, il décida de montrer à son Maître que, à moins que Sidious n’en décide autrement, Orsis resterait son unique patrie. Mais une soudaine appréhension prit le pas sur sa décision. Talzin dut l’avoir sentie aussi, car elle se tourna vers lui alors qu’il les accompagnait, elle et les Sœurs de la Nuit, sur la rampe de la navette. Peut-être le croyait-elle à l’origine de son inquiétude.

 Il y a un problème, lui dit Maul.

Sans même attendre l’ordre de Talzin, les trois Sœurs de la Nuit tirèrent leurs épées et activèrent leurs arcs. La baie d’accostage, faiblement éclairée, semblait déserte, mais Maul perçut la présence d’êtres armés dissimulés dans l’ombre. Talzin continua néanmoins à avancer à découvert avec une insouciance feinte.

 Restez où vous êtes et baissez vos armes, aboya en basic une voix revêche dans les haut-parleurs de l’aire de chargement.

Les êtres que Maul avait ressentis commencèrent à émerger de l’ombre : une troupe de Weequays aux cheveux tressés au sommet du crâne et de Siniteens au cerveau volumineux, tous armés de blasters. Un Vollick posté au centre du groupe, harnaché de pied en cap d’une armure rutilante, les dominait tous d’une bonne tête.

 Vous ne rentrerez pas à Dathomir, Mère Talzin, annonça-t-il. Tous les cinq allez être mes invités sur Rattatak, où vous ferez peut-être partie de mon armée d’élite.

Il sortit un blaster démesuré de son holster et tira en direction du haut plafond de la baie.

 Nos armes sont réglées sur la fonction incapacitante, mais nous tirerons pour de bon si vous choisissez de décliner mon invitation.

Talzin ne se donna pas la peine de répondre. Sur un simple signe de sa part, la baie se remplit soudain de dizaines de Sœurs de la Nuit guerrières, encore que Maul soit surpris de les voir vêtues de tuniques et équipées d’armes qui lui paraissaient venir d’une époque révolue. Il comprit aussitôt qu’il s’agissait en fait d’une éblouissante illusion de la Force, mais les soldats du Vollick n’y virent que du feu. Alors, ainsi que leur chef l’avait annoncé, les sélecteurs d’une dizaine de blasters passèrent de « incapacitant » à « réel » et une volée de décharges se mit à quadriller la baie, mettant tout le monde en danger.

Les vraies Sœurs de la Nuit, aussi promptes à tirer que leurs adversaires, parvinrent, de leurs arcs à énergie, à renverser plusieurs soldats avant que l’illusion créée par Talzin ne commence à s’évaporer dans le même air recyclé d’où elle était sortie. Enhardis, et ignorant l’ordre de leur chef de cessez-le-feu, les Weequays et les Siniteens chargèrent, abattant une des Sœurs et blessant Talzin à la cuisse.

Maul envisagea de retourner à toute vitesse dans la navette, mais doutait qu’il soit assez puissant pour avoir raison du rayon tracteur de la baie. Changeant de stratégie, il piqua un sprint à travers le pont, bondit, cabriola et tourbillonna jusqu’à la Sœur à terre dont il s’empara de l’arc à énergie. Puis il battit en retraite vers le vaisseau, s’abrita derrière une des plate-formes d’atterrissage et commença à riposter.

Si c’était une mise à l’épreuve, songea-t-il, elle serait sans repêchage.

À plusieurs mètres de là, Talzin était étalée sur le pont avec les deux Sœurs restantes qui, à l’aide du Côté Obscur, faisaient pleuvoir un barrage de flèches dont la plupart faisaient mouche.

Maul observa la baie de chargement. Pour être passé par la station à plusieurs occasions – le plus souvent pour se rendre à des compétitions hors système organisées par Trezza –, il savait que ses plate-formes de correspondance et de chargement étaient reliées en plusieurs endroits par des sas. S’il pouvait atteindre la nacelle des passagers, il pourrait réquisitionner une navette et être de retour sur Orsis avant qu’on ne se soit aperçu de sa disparition. Plus facile à dire qu’à faire toutefois s’il devait continuer à respecter les règles que son Maître avait fixées.

Il se préparait à courir vers le sas le plus proche quand Talzin l’appela.

 Ne nous laisse pas tomber, Maul !

Se retournant, il la vit debout, soutenue par une des Sœurs tandis que l’autre les couvrait.

 Maul ! appela encore Talzin.

En proie à un véritable dilemme, Maul se sentit paralysé. Son Maître attendait-il de lui un acte de compassion ? Même si le test était un fiasco, Talzin n’en était peut-être pas moins un des agents de Sidious et, à ce titre, elle méritait son aide. Le Côté Obscur de la Force autorisait-il le sacrifice de soi ?

Jurant entre ses dents serrées, il accrocha l’arc à son épaule et fonça à travers une pluie de décharges de blaster pour revenir auprès de Talzin. Après l’avoir soulevée sur son dos, il fonça vers la baie voisine pour s’y réfugier, les deux autres Sœurs de la Nuit sur ses talons.

 

 Elle est morte, affirma l’un des Weequays au visage de vieux cuir parcheminé alors que le chef de guerre Osika Kirske s’approchait de la Sœur de la Nuit à terre.

La grosse botte du Vollick vola jusqu’au menton du mince humanoïde et le souleva à un mètre.

 Elles étaient trop nombreuses, tenta d’expliquer un de ses congénères, ce qui lui valut de recevoir un poing ganté en pleine poire.

Kirske se tourna ensuite vers les quelques soldats encore debout.

 La sorcière a réussi l’impossible : vous rendre encore plus bêtes que je l’aurais cru possible !

Son regard se tourna vers l’écoutille par laquelle Talzin et les autres avaient disparu.

 Elles vont tenter de regagner leur vaisseau. Arrêtez-les ! Et essayez de m’en laisser au moins une en état de parler. On se retrouve à la plate-forme des passagers.

À deux pas, Meltch regarda les mercenaires de Kirske filer.

 J’ai essayé de vous prévenir, dit-il. Maintenant vous avez un combat sur les bras.

Le Vollick émit un grognement guttural.

 Nous autres Rattataki sommes nés pour nous battre.

Meltch hocha la tête.

 Un dernier conseil, alors : demandez des renforts.

 Vous partez ? lança Kirske au dos du Mandalorien.

 J’ai joué mon rôle, Seigneur de guerre, rétorqua Meltch par-dessus son épaule. Je vous laisse balayer la casse.

 

L’entrée d’un des passages cylindriques de la station était à moins de cinquante mètres d’eux, mais Maul et les trois Dathomiriennes étaient coincés derrière un conteneur par le tir nourri des forces de Vollick.

 Notre magie reste sans effets dans cet endroit stérile, dit Talzin d’une voix chargée d’aversion. C’est pour cela que je n’ai pas pu maintenir l’illusion.

Des décharges de blaster ricochaient sur le conteneur. Les deux Sœurs ripostaient.

 L’illusion qui a bien failli nous tuer tous, dit Maul.

Talzin ôta sa main qu’elle maintenait sur la profonde entaille à l’intérieur de sa cuisse et grimaça. Maul considéra la blessure avec indifférence. Noir et rouge, comme les zigzags tatoués sur son visage et sur sa tête.

 Sur Dathomir je pourrais me guérir moi-même.

 Personne ne vous a demandé de venir ici, dit-il, conscient que ce n’était peut-être pas vrai.

 Nous sommes venues pour ton bien.

C’était un mensonge et il ne se priva pas de le lui dire. Une lueur flamboya dans les yeux gris de Talzin.

 Tu ne comprends pas que tu appartiens à une fière lignée, Maul. Que tu aies été enlevé de Dathomir ne change rien au fait que tu es un Frère de la Nuit et que ton destin est lié au nôtre.

Il eut un reniflement de dédain.

 Tout le monde a des projets pour moi.

Elle scruta son visage effrayant pour tenter de comprendre ce qu’il voulait dire.

 Je ne comprends pas, dit-elle enfin.

Mais Maul s’était de nouveau muré dans le silence.

Dans l’espace vide entre le conteneur et les soldats, une douzaine de droïdes porteurs automatisés, indifférents aux tirs qui fusaient autour d’eux, transbahutaient d’autres conteneurs similaires vers divers endroits délimités sur le sol brûlé du pont. Les caisses étaient acheminées dans la baie par les puissants rayons tracteurs d’un cargo trop gros pour être amarré à l’intérieur de la station. Toute la manœuvre s’effectuait sous le guidage d’un ordinateur situé dans la salle de contrôle au niveau supérieur de la baie.

Maul passa un bon moment à l’observer, puis :

 Nous avons une chance de franchir le passage et de gagner la nacelle des passagers.

Il fixa Talzin d’un regard pénétrant.

 Je vais avoir besoin d’une de vos épées énergiques.

Talzin soutint son regard sans ciller.

 Tu n’as aucune pratique de cette arme.

D’un coup d’épaule, Maul délogea l’arc qui y était accroché.

 J’improviserai.

 

Trezza et Sidious étaient dans l’herbe haute de la savane où Maul avait été vu pour la dernière fois. Le landspeeder qui les avait déposés dans la Gora était garé non loin. Un vent fort malmenait leurs tuniques et ils devaient hausser la voix pour se faire entendre.

 Nous le suivions jusqu’à ce que la tempête se déclare et détruise presque toutes nos télécams, expliquait le Falleen. À ce moment-là, il approchait de l’avant-poste, et on s’attendait à ce qu’il nous demande de l’évacuer avant la tombée de la nuit.

Il se tut avant d’ajouter :

 Personne, parmi ceux que j’ai entraînés, ne s’en est jamais sorti aussi bien dans un solo.

 Et pourtant Maul a disparu, dit Sidious.

 Le groupe de recherche que j’ai envoyé a pu le pister jusqu’ici, dit Trezza, mais rien ne nous indique où il est passé ensuite.

Sidious laissa son regard courir sur l’orée lointaine de la forêt.

 Maul n’était pas seul.

Trezza suivit son regard jusqu’aux endroits où l’herbe avait été piétinée et couchée. Il acquiesça d’un hochement de tête.

 Ce sont les llans. Les gars ont reconnu les empreintes de quatre bêtes au moins.

Sidious se tourna insensiblement vers lui.

 Ici… en même temps ?

 Apparemment.

 Et selon vous, les llans ont quelque chose à voir avec la disparition de Maul ?

 Nous n’avons aucune preuve de ça. Mais on ne peut nier que Maul et les llans étaient ici en même temps.

La relation entre le Falleen et l’Humain remontait à huit ans, à l’époque où Sidious, sur l’ordre de Dark Plagueis, avait exilé Maul de Mustafar pour l’envoyer à l’école militaire d’Orsis. Pour sa première visite, Sidious s’était travesti. Aujourd’hui il se contentait de dissimuler son visage dans les plis de sa capuche. Il avait une confiance totale en Trezza et ne voyait plus aucune raison de douter de lui. Cependant, l’idée qu’un groupe de llans ait pu venir à bout de Maul lui paraissait absurde.

 Avez-vous déjà entendu dire que les llans pouvaient se concerter pour agir ?

 Jamais.

Une fois de plus, Sidious regarda autour d’eux, effectuant un tour complet sur lui-même.

 Cette tempête…

 Ça aussi, c’était bizarre. Elle est arrivée de nulle part.

Sidious garda le silence un long moment.

 Des vaisseaux sont-ils partis ou arrivés ?

 Pas du cratère. Et le trafic du spatioport de l’école était comme d’habitude.

 Des navettes de ravitaillement.

 Exactement.

 Y a-t-il d’autres absents parmi les apprentis ou les instructeurs ?

Trezza réfléchit un moment.

 Meltch est parti depuis une semaine pour affaires, mais il devrait rentrer dans la soirée.

Sidious porta pensivement la main à son menton fendu.

 Le Mandalorien.

 Croyez-vous que Maul aurait pu fuir ? demanda prudemment Trezza.

Sidious se tourna vers lui et le considéra de sous le bord de sa capuche.

 Que voulez-vous dire ?

 Se pourrait-il qu’il ait atteint ses limites avec le… l’entraînement ?

 Et décidé d’effacer ses traces après avoir accompli le solo le plus remarquable que vous ayez jamais vu ?

Le regard de Trezza se fit fuyant.

 Je suggérais simplement une possibilité. Maul ne serait pas le premier à le faire.

 Il est peu probable qu’il ait tourné le dos au seul endroit où il se sentait pour la première fois chez lui.

Sidious leva la tête vers le ciel.

 Dites à vos traqueurs d’arrêter les recherches. Je m’occuperai personnellement de cette affaire.

 

Une épée courte à la main, Maul esquivait les décharges des Weequays et des Siniteens tout en fonçant vers la salle de contrôle. Un instant, il donna l’impression de vouloir gravir le mur sur sa lancée, mais il bondit directement du pont quand il ne fut plus qu’à quelques mètres de la cloison. Simultanément, il leva au-dessus de sa tête l’épée qu’il tenait à deux mains et la plongea dans la vitre en épais transparacier de la salle de contrôle. Une lame ordinaire aurait simplement rebondi, mais énergétisée par le Côté Obscur de la Force, l’épée de la Sœur non seulement traversa la vitre comme l’aurait fait un sabre laser, mais elle y ouvrit une déchirure verticale alors que la pesanteur renvoyait Maul sur le pont. Suspendu à la poignée de l’épée, il se laissa tomber avec elle sur une courte distance avant de se hisser au-dessus en ramenant ses pieds devant lui pour les balancer de toute sa force contre la paroi transparente. Le succès de la manœuvre, toutefois, tint davantage au feu nourri et concentré des blasters des guerriers du Vollick qu’au peu d’élan que Maul avait été en mesure d’apporter à la manœuvre.

Les pieds en avant, Maul vola à travers la vitre éclatée pour atterrir dans la salle de contrôle, poursuivi par des dizaines de décharges qui ricochaient tout autour de lui. Plusieurs appareils furent atteints et, comme les circuits grillaient, une fumée âcre commença à envahir le petit espace. Rampant sous la brèche, Maul atteignit le tableau de commande et commença à entrer des paramètres sur l’écran tactile. Il n’était en aucun cas un slicer de génie, mais Trezza accordait autant d’importance au savoir-faire informatique qu’à la préparation des poisons ou aux techniques d’assassinat. Et puis, en fait, entrer dans le programme qui contrôlait le transfert automatique du système de chargement n’exigeait en aucun cas le talent d’un expert.

Sous les décharges qui continuaient à pleuvoir dans la salle, Maul parvint à atteindre le programme qui manœuvrait le rayon tracteur, et à le reconfigurer. Le système ne cessait de lui demander s’il était vraiment certain de maintenir ses modifications, mais une fois qu’il l’eût convaincu, les conséquences furent quasiment immédiates.

Alors que, jusqu’alors, les conteneurs avaient flotté en douceur dans la baie, ils y arrivaient désormais à fond de train. Le grand vaisseau, amarré devant la station, ne réagissait pas à la traction accrue du rayon, mais les conteneurs eux-mêmes déboulaient bien trop vite pour permettre aux porteurs d’accomplir leur travail. Ils s’empilaient donc sur le pont en un tas qui devint rapidement un mur dressé entre les mercenaires et les Sœurs de la Nuit, sans toutefois empêcher celles-ci d’atteindre le passage menant à la plate-forme des passagers.

Anticipant l’inévitable, plusieurs soldats quittèrent leur abri pour tenter de rejoindre le côté opposé de la baie, mais furent écrasés par les conteneurs qui ne cessaient d’arriver. Deux porteurs se retrouvèrent quant à eux cernés par le mur qui menaçait à tout instant de se déverser hors de la baie pressurisée.

Profitant de ce que la vigilance de l’ennemi avait baissé, Maul parvint à bondir de la salle de contrôle sur le pont et à revenir ainsi aux côtés de Talzin.

 Magie technologique, dit-elle avec une indéniable note d’appréciation.

Maul l’aida à se remettre sur pied et enroula son bras gauche sur sa taille.

Leurs arrières protégés par les Sœurs, tous les deux enfilèrent le couloir et franchirent la première de plusieurs écoutilles : Maul les ouvrait à l’aide de la Force au fur et à mesure qu’ils les approchaient, et Talzin s’en servait pour les refermer ; quant aux deux Sœurs, elles détruisaient les panneaux de contrôle avec leurs flèches énergétiques. Un travail d’équipe qu’ils répétèrent tout au long du chemin jusqu’au passage. Maul ignorait si ce qu’il faisait serait au bout du compte considéré comme bien inspiré ou à côté de la plaque. Mais sa certitude d’être mis à l’épreuve fut confortée quand Talzin et lui franchirent l’ultime écoutille pour pénétrer dans la plate-forme des passagers de la station et qu’une puissante révélation le figea sur place.

 Qu’est-ce que tu attends ? dit Talzin. Notre vaisseau est tout près.

 Vous pouvez poser le masque, lui dit-il.

Elle secoua la tête sans comprendre.

 Quel masque ? De quoi parles-tu ?

 De Dathomir, des Frères de la Nuit et du reste. Je sais que vous avez été envoyée par mon Maître.

Elle le considéra de ses yeux écarquillés.

 Je le sais parce que je le sens, ajouta-t-il. Mon Maître est ici.

 

Des sirènes hurlaient dans la plate-forme des passagers, et les gyrophares projetaient leurs lueurs rouges tournoyantes dans les halls et les hangars.

Transpirant abondamment sous son armure, le seigneur de guerre Kirske marchait de long en large derrière les soldats qu’il avait déployés dans une baie à l’extrémité du passage où ses quatre cibles étaient paraît-il entrées. D’autres soldats avaient reçu l’ordre d’engager des agents de la sécurité de la station, et un groupe de mercenaires Weequays avait été dépêché au vaisseau des Sœurs de la Nuit afin d’en assurer la surveillance pour le cas où Talzin et les autres arriveraient jusque-là. Ne restaient donc plus qu’une poignée de soldats à bord du propre vaisseau stellaire de Kirske.

Au vu des dégâts que le Zabrak dathomirien avait provoqués dans une des baies de chargement, Kirske avait commencé à se demander s’il n’avait pas été lui-même victime d’un guet-apens. Meltch avait eu l’air de prendre le soi-disant Frère de la Nuit de haut, et pourtant l’apprenti de Trezza se révélait bien plus dangereux que Mère Talzin elle-même. Le Mandalorien aurait-il conclu en douce un marché avec un autre chef militaire rattataki destiné à l’attirer dans un piège ? Kirske n’était certes pas à court d’ennemis dans ce monde contesté, loin s’en fallait.

Il lança un coup d’œil vers la sortie du passage puis se tourna brusquement vers l’un de ses lieutenants siniteen.

 Pourquoi mettent-ils autant de temps ? Pourquoi est-ce qu’ils ne sont pas sortis de là ? Et pourquoi est-on en train de cuire, ici ?

Précautionneusement, il glissa un doigt sous le col de sa tunique qu’il tira en espérant évacuer un peu de la chaleur qui s’accumulait sous sa cuirasse. Les crânes parcheminés des Weequays près de lui étaient couverts de sueur.

 Mon Seigneur, nos éclaireurs nous signalent qu’ils restent introuvables, annonça finalement le Siniteen.

Kirske plissa les yeux pour tenter de mieux distinguer la sortie du passage, mais se rendit compte qu’il voyait trouble. C’était comme si le fond de la baie était obscurci par une nappe de brouillard. L’illusion d’optique était peut-être due à la sueur qui lui dégoulinait dans les yeux. Ou peut-être que non. Pour plus de sûreté, il mémorisa l’endroit de la sortie la plus proche.

Dans la remise juste en dessous de la baie où étaient déployés les soldats de Kirske, Maul et les Sœurs de la Nuit étaient perchés sur un échafaudage de la maintenance à plusieurs mètres au-dessus du sol inondé. Les ruptures des grosses conduites au-dessus d’eux, provoquées par l’épée dathomirienne de Maul, avaient provoqué un véritable déluge. Et à mesure que l’eau se déversait des tuyaux, Talzin, agitant les bras avec force gesticulations, la transformait en vapeur, si bien que des nuages commençaient à s’infiltrer par les interstices du pont de la baie juste au-dessus.

 Ce ne sera pas aussi puissant que la tempête que j’ai déclenchée sur Orsis, dit-elle, mais ça devrait suffire.

De même que Maul et les deux Sœurs, elle portait un des respirateurs que Maul avait trouvés dans un sas après que Talzin et lui avaient l’un et l’autre flairé l’embuscade qui les guettait au bout du passage. Ils étaient descendus en empruntant prudemment les couloirs du service de maintenance qui couraient sous le niveau de la plate-forme des passagers. Si Talzin avait plus tôt été incapable d’utiliser sa magie, ses pouvoirs pour transformer l’eau n’avaient de toute évidence pas été détraqués par la techno-stérilité du reste de la station.

Talzin continua à faire des passes magiques d’une main tandis que l’autre plongeait au fond d’une poche de sa tunique. Marmonnant en dathomirien, elle en sortit une fiole cristalline dont elle commença à disperser le contenu sur les volutes de vapeur surchauffée que, ensuite, elle fit de ses deux mains tourbillonner avant de les pousser à s’élever plus rapidement, comme propulsées par de puissants ventilateurs.

Tous quatre attendirent d’entendre les toux et les haut-le-cœur qui leur parvinrent de l’étage du dessus puis se dirigèrent vers le fond de la remise pour gravir l’échelle donnant accès à la baie supérieure.

Victimes du brouillard soporifique et presque impénétrable de Talzin, les soldats de Kirske titubaient, comme ivres, ou se pliaient en deux pour vomir sur le pont. Les deux Sœurs de la Nuit se taillèrent un chemin parmi eux à coups d’épée. Les rares Weequays et Siniteens à ne pas avoir totalement succombé à l’étrange mixture de Talzin ouvrirent le feu avec leurs blasters, mais furent promptement éliminés. Laissant les Dathomiriennes masquées ferrailler à l’envi, Maul, à coups de pied et de poing, mit à mal l’arrière-garde du Vollick, castagnant et brisant les os en se frayant un passage jusqu’au seigneur de guerre lui-même. Du brouillard jaillit un tir nourri de la garde rapprochée du Vollick, forçant Maul à se jeter à terre. Le bras droit égratigné par une décharge, il se redressa tant bien que mal et continua à foncer, mais entre-temps le chef de guerre et ses lieutenants avaient battu en retraite par une des sorties. Seule la voix de Talzin dissuada Maul de les poursuivre.

 Notre vaisseau ! appela-t-elle.

Agitant les mains, elle fit se condenser le brouillard en une sphère liquide qui, répondant à une autre de ses passes magiques, s’ouvrit et doucha le pont. Arrachant le respirateur de son visage pour le jeter par terre, elle désigna la direction du quai où était amarré le vaisseau.

 Vite !

Talzin ne s’était pas attendue à ce que Maul réponde à son ordre, et elle s’interrogeait, tout en courant, sur ses raisons de les suivre. Avait-il vraiment l’intention de rentrer avec elles à Dathomir ? Elle avait commencé à douter de pouvoir l’assujettir une seconde fois, voire de le persuader de les accompagner. Qu’est-ce qui avait changé ? Ce combat avait-il créé une sorte de relation essentielle pour lui ? Ou bien était-il à présent prêt à accepter son destin en dépit de la prétendue présence de ce Maître qu’il aurait perçue ?

Surgissant dans le hangar, ils découvrirent que le pont était jonché de Weequays. Aucun des corps blêmes ne portait de blessures apparentes, mais, aux yeux d’un soldat, il était évident qu’ils étaient bel et bien morts. Il était clair que Vollick les avait laissés là pour les empêcher, elle et les autres, d’atteindre le vaisseau. Se seraient-ils entre-tués ? Talzin avait à peine eu le temps de l’envisager quand elle vit Maul s’arrêter brusquement et mettre un genou à terre en baissant la tête.

 Maître, l’entendit-elle dire.

Un Humain s’avança. De taille moyenne, il portait une tunique sombre dont la capuche relevée dissimulait son visage. Talzin ressentit son pouvoir, pas seulement dans la Force, mais dans le Côté Obscur, ainsi que certains l’appelaient. Même les Sœurs de la Nuit ressentirent la puissance de l’homme ; mal à l’aise, elles reculèrent d’un pas en baissant leurs arcs énergétiques. Pendant un long moment, Talzin et lui s’affrontèrent du regard dans un silence menaçant. Puis l’homme désigna Maul d’un geste.

 Sa place n’est pas à Dathomir, dit-il en basic d’un ton sans appel. Il est à moi.

Talzin se souvint que la Sœur Kycina avait évoqué la distinction et le pouvoir de l’homme auquel elle avait remis le petit Maul.

 Donc ce n’est pas pour vous en débarrasser que vous l’avez confié au Falleen.

 Au contraire, dit-il.

Elle tourna les yeux vers Maul.

 Vous l’avez bien formé.

Dans l’ombre de la capuche, un faible rictus étira les lèvres de l’homme.

 Je n’ai pas besoin de vous pour me confirmer ce que je sais déjà, femme.

 Cela va de soi, répondit-elle sans s’excuser le moins du monde.

D’un geste, il désigna leur vaisseau.

 Vous trouverez le corps de votre Sœur à bord.

Talzin le remercia d’un hochement de tête.

L’homme glissa les mains dans les manches de sa tunique.

 À présent, partez d’ici avant que je change d’avis.

Peu habituée à recevoir des ordres, Talzin hésita, mais pas longtemps, avant d’inviter d’un signe les deux Sœurs de la Nuit à monter à bord. Près d’elle, Maul était toujours agenouillé, tête baissée. D’un geste désinvolte, elle frôla nonchalamment de sa main gauche la plaie ouverte sur son bras. Puis à son tour elle se dirigea, en boitant légèrement, vers la rampe. Là, elle leva sa main qu’elle resserra sur un des talismans qui pendaient à son cou et y pressa le sang de Maul.

Ainsi, je saurai toujours où te trouver.

Après avoir d’un dernier regard salué le Maître de Maul, elle gravit la rampe et disparut dans le vaisseau.

 

Quand celui-ci se fut fondu dans l’espace, Sidious s’avança vers une baie d’observation dominant Orsis sur laquelle frémissaient des couleurs chatoyantes. Maul le suivit avant de s’agenouiller de nouveau en attendant que son Maître prenne la parole.

 Tu t’es bien conduit, Maul, dit enfin Sidious. Je suis satisfait de la retenue dont tu as fait preuve tout en faisant honneur à ta formation approfondie du Côté Obscur de la Force.

 Je l’ai fait dans l’espoir de devenir un jour votre Apprenti, dit Maul.

Sidious se détourna légèrement du panorama pour le regarder.

 Alors considère que tu as progressé d’un pas dans cette direction.

Maul soupira de soulagement.

 Merci, Maître.

Sidious s’écarta de la vitre.

 Le temps est venu pour toi d’apprendre certaines choses sur la nature de notre engagement. Ainsi que je te l’ai dit, j’ai passé plus d’années que tu n’en as vécu à mettre en place les étapes d’un Grand Plan – un plan où tu joueras peut-être un rôle si tu peux continuer à prouver ton mérite et ta loyauté. Tu dois savoir, cependant, que ce plan n’a pas été entièrement conçu par moi, et qu’il se prépare en fait depuis un millénaire. Il est issu de l’esprit de nombreux êtres qui tous servent une noble tradition.

Il marqua une pause pour baisser les yeux vers lui.

 Une tradition d’une importance bien plus considérable que celle de la fraternité dathomirienne dont Talzin t’a certainement parlé. C’est la tradition de l’ancien ordre connu sous le nom de Sith.

Maul, perplexe, fronça les sourcils.

 Vous m’avez parlé des Sith quand j’étais enfant, Maître.

 Ce que je t’ai caché alors est que je suis le Seigneur des Sith, Dark Sidious. Mon Maître m’a à la fois donné mon nom et conféré le titre, et si je t’en juge digne, tu auras peut-être droit à ce même honneur de ma part.

Maul déglutit avec difficulté.

 Je m’efforcerai de vous prouver ma vraie valeur, Maître.

 Oui, c’est ce que tu feras, approuva Sidious avant d’ajouter : À partir de maintenant, je t’initierai moi-même aux voies des Sith, et t’autoriserai graduellement à apprendre certaines choses sur mon alter ego et sur notre objectif suprême. Dans l’immédiat, savoir que nous sommes des opposants à la République et des ennemis jurés de l’Ordre Jedi suffira. Ta tâche consistera à abattre la première et à supprimer les seconds de la galaxie. Et même si je resterai la main qui te guidera pour cela, c’est à toi qu’il reviendra d’exécuter les missions qui pourraient présenter un risque pour ma position si le but véritable de nos actions venait à être dévoilé.

Le cœur de Maul cognait dans sa poitrine.

 Pour ceci il ne faudra rien de moins que la perfection, Maul, dit Sidious ! Comprends-tu ?

 Je comprends, Maître.

 Alors vérifions cela tout de suite, d’accord ?

Maul leva la tête.

 Une nouvelle épreuve, Maître ?

Sidious fronça les sourcils.

 Nouvelle ?

 Comme celle que vous avez conçue avec Mère Talzin ?

Sidious esquissa un sourire.

 Je suis totalement étranger à ce qui s’est passé sur Orsis et sur cette station, Maul. En fait, tu as été trahi par quelqu’un qui a dit à Talzin où te trouver, et qui a ensuite collaboré à son plan pour te capturer.

Les yeux de Maul s’écarquillèrent.

 Puis-je connaître l’identité de ce traître, Maître ?

Sidious hésita une seconde, puis :

 Meltch Krakko.

Maul en resta un instant sans voix.

 Trezza était-il au courant, Maître ?

Sidious secoua la tête.

 Trezza ignorait tout. Toutefois, je crains que nous ne puissions pas endiguer les dommages qui ont été créés. Le Mandalorien en sait trop, et même si j’ai toujours eu confiance en Trezza, nous ne pouvons pas prendre le risque que la raison de ta disparition et de tout ce qui a suivi s’ébruite.

Il se tut, se prenant pensivement le menton.

 Je me chargerai du Seigneur de guerre Vollick. Mais c’est à toi qu’il reviendra de t’occuper de Trezza et des autres à l’école.

Maul l’interrogea du regard.

 Ils doivent mourir, Maul. Aussi bien les instructeurs que les élèves. Tous, jusqu’au dernier.

Le cœur de Maul se fit aussi lourd que la pierre.

 Je suis à vos ordres, Maître.

Sidious approuva d’un hochement de tête.

 Et tant que tu le seras, tu resteras en vie.

 

Maul, allongé dans la cabine compacte de la navette qui le ramenait à Orsis, le monde bleu, blanc et brun qui emplissait la verrière le long de son siège, songeait à la tâche qui l’attendait.

Il savait que Daleen, Kilindi et surtout Trezza lui manqueraient. Mais il acceptait que leurs morts soient indispensables dans le plan de Sidious – un Grand Plan auquel il participait désormais. L’école hébergeait constamment près de cinq cents êtres, et il ne cessait d’élaborer des plans avant d’en arrêter un qui l’assurerait de ne laisser aucun survivant.

En dehors de l’interdiction d’utiliser son sabre laser, Sidious lui avait laissé carte blanche. Et Maul avait hâte de se mesurer à Meltch, et de pouvoir enfin lui montrer de quoi il était capable.